1 - Qu’est-ce que le design pour vous ?
Pour commencer ce blog, j’avais envie de sonder plusieurs personnes au sujet de leur perception du design. Ainsi, je me suis amusée à demander autour de moi « qu’est-ce que le design pour toi ? ». Quelle que soit l’âge et la catégorie socio-professionnelle des individus, il en ressort une grande variété dans la façon de définir cette notion. Certains pensent directement à quelque chose de beau, ou au fait « de rendre beau quelque chose d’utile ». D’autres évoquent la réalisation d’objets suivant des codes « dans l’air du temps ». Une partie s’attarde sur les « aspects pratiques » pris en considération par le design et le fait que « le design s’applique à des objets de la vie courante ». Et l’architecture, autant que les objets, occupent une place prépondérante dans la manière d’appréhender cette notion de design. J’ai tout de même été surprise par la diversité des réponses obtenues car j’avais moi-même ma propre idée sur le design. De plus, chaque réponse bien que parfois incomplète, me semblait pertinente.
2 - Mais alors, quelle est la définition du mot design ?
Afin de vous apporter une réponse relativement complète et de qualité, j’ai préféré aller au-delà de la définition du dictionnaire. Pour cela, je me suis plongée dans la lecture du livre « LE DESIGN » aux Éditions : Que sais-je ? Son auteur, Stéphane Vial, tel un archéologue, inventorie et partage des théories du design au travers d’éléments historiques. Cela m’a permis, d’une part, de revoir l’évolution du design dans un ouvrage qui aborde l’essentiel de manière organisée. Et d’autre part, de constater que le panel de définitions obtenues en interrogeant mon entourage correspond à une réelle complexité à définir le design. En effet, ce dernier représente une discipline, qui selon les époques et les pays dans lequel elle est abordée, s’appuie sur des éléments variables en perpétuelle évolution.
a - La naissance du design
Le design prend sa source au XVème siècle, à la Renaissance Italienne, avec la notion « de projet » que va développer l’architecte Florentin Brunelleschi. En effet, avec la complexité grandissante des édifices, la diversité des différents corps de métiers à mettre en œuvre, anticiper devient nécessaire. Pour cela des croquis, des dessins, des plans, des maquettes sont élaborés en atelier. Cela représente la première étape du projet : celle de la conception. Vient ensuite l’étape de concrétisation avec la réalisation du projet. Ces deux étapes distinctes deviennent d’ailleurs perceptibles dans le mot dessin qui tire son étymologie du mot dessein. A partir du XVIIIème siècle on retrouve deux sens distincts : le dessin qui est la représentation d’éléments et le dessein qui s’apparente au devenir des éléments.
b - Le design industriel
C’est en 1849 que le mot design apparaît en Angleterre, avec l’air de l’industrialisation, peu avant la 1ère exposition universelle. Peut-être avez-vous entendu parler de l’un de ces différents mouvements :
– L’art Nouveau vers 1900 qui est dans la même lignée avec un artisanat de qualité réunissant là encore l’art et l’artisanat.
– Le Bauhaus, école fondée en 1919 par l’architecte Walter Gropius, est issue d’une fusion entre l’École des Beaux-arts et celle des Arts appliqués. Des ateliers techniques (artisanat), formels (langage plastique), scientifiques (théorie) se côtoient en mariant l’art à l’habileté mécanique.
– Les Arts and Crafts qui débutent vers 1960 avec l’idée de réhabiliter l’artiste-artisan et de revigorer les Arts Décoratifs.
Avec la montée du nazisme et la fermeture de l’école du Bauhaus ce même mouvement de pensée continue à se développer notamment à Chicago. Aux États-Unis avant 1930 le design industriel relevait d’une production intensive. En effet, une production en grande quantité était recherchée malgré un look massif et grossier. Cependant, un autre design se développe appelé Streamline. Il est constitué de forme lisses et arrondies (style paquebot) inspiré du mouvement, de la vitesse et veut rester simple pour aller à l’essentiel. En France, le design se veut une discipline à part entière s’éloignant de « la forme méthode de vente » (pratiquée aux États Unis). Ainsi, la notion d’esthétique industrielle qui devient la science du beau, avec un attachement pour le bon goût se développe.
c - La crise d’identité design industriel
La notion de design va être en constante évolution tout au long du XXème siècle. Dans les années 1930, le marketing aux États-Unis et la mercatique en France prospèrent. Le design permet alors de mettre en adéquation forme et fonction dans le but d’accroître l’efficacité commerciale. La société de consommation se développe, et l’histoire que l’on raconte autour du produit afin de le vendre fait partie du Package. En jouant sur les émotions, les designers cherchent à rendre le produit désirable.
Dans les années 1980, le design devient un argument cinq étoiles pour vendre encore plus de produits. Le packaging est dès lors primordial, et l’identité de marque est une notion incontournable.
Dans les années 1990, en Italie la fabrication d’objets en grande série est remise en question. Le design s’oriente alors vers la satisfaction d’une élite avec de petites séries différenciées.
A la fin du XXème siècle, l’impact de l’industrialisation sur la planète et le développement d’internet vont conduire à une nouvelle approche du design. Il va davantage s’adapter à l’humain, devenir compréhensible pour l’utilisateur et prendre en compte les aspects culturels et sociaux. La fonctionnalité, l’ergonomie et l’esthétique prendront le pas sur la valeur marchande.
3 - Extension du domaine du design et/ou nouvelle définition ?
D’autres sortes de design telles des extensions s’élaborent du fait de l’apparition de nouvelles pratiques et répondent par là-même à de nouveaux usages tout aussi variés. L’écoconception, le design centré sur l’utilisateur, le design d’interaction, le design social participatif (écodesign), le design Thinking, le design de services et le design social sont les plus significatifs. Ainsi, le design n’est plus essentiellement tourné sur l’objet (bâtiments, produits, affiches, logos…) ou l’artefact, mais sur le processus, la méthode, la fonction et l’utilisation liés à celui-ci et dans toutes les étapes (création et utilisation future). Différentes formes de design apparaissent suite à la complexité croissante de notre environnement, notamment avec l’apparition d’un monde virtuel.
a - Le design devient écoresponsable
Dès le début des années 1990, l’écoconception repose sur l’analyse du cycle de vie de ce qui est produit. En effet, des méthodes d’analyses prennent en considération la production dès l’extraction des matières jusqu’à leur recyclage en passant par les effets liés à leur utilisation. L’impact sur l’environnement est étudié et pris en considération dans l’équation. Une réflexion sur les coûts de production entre également en ligne de compte.
b - Le design se recentre sur l’utilisateur
L’application de principes psychologiques et cognitifs s’étendent au domaine du design. Ainsi, l’utilisateur d’un produit doit pouvoir en profiter sans difficultés et de manière intuitive. Si cela n’est pas le cas, c’est au concepteur de se remettre en question pour améliorer le résultat. L’aspect esthétique n’est pas le seul élément à prendre en considération mais, entre dans l’équation, les aspects pratiques, émotionnels, affectifs entre autres.
c - Le design d’interaction apparaît avec l’informatique
Les années 1960 marquent la naissance de la micro-informatique aux Etats-Unis. Arrive ensuite la première interface destinée à faciliter l’utilisation des ordinateurs et à les rendre accessibles au grand public. Puis apparaissent les icônes graphiques et l’utilisation de la souris. L’ingénierie et le design se rapprochent. APPEL né en 1976, s’intéresse au design et conçoit à la fois le matériel (hardware) et le logiciel (software).
« Le design d’interaction possède cinq dimensions :
– la dimension du texte (terminologie de l’interface),
– la dimension visuelle (langage graphique de l’interface),
– la dimension physique (objet dans lequel l’interface est incorporée),
– la dimension temporelle (son, animation, vidéo) et
– la dimension comportementale (interactivité). »
Cela conduira au design UX qui à pour objectif de créer l’expérience utilisateur optimale en la pensant avant le produit.
d - Le design de service émerge par opposition au design de produit
Cette notion apparaît en Allemagne en 1990. Il y a cinq principes sur lesquels cela s’appuie :
– la recherche d’une production centrée sur l’utilisateur en se mettant dans la peau de celui-ci afin d’élaborer le cheminement d’utilisation futur
– la participation des différentes disciplines afin qu’elles interagissent dans le processus de création
– des séquences temporelles avec la réalisation et l’anticipation de scénarios d’usages multiples et réalistes
– la matérialisation d’artefacts physiques même s’il s’agit d’un service en ligne
– holistiques, car il prend en compte l’ensemble des éléments interdépendants qui conditionnent les services, cela à tous les niveaux.
e - Le design englobe un aspect social
Le design social peut intervenir là où le design commercial n’est pas capable de prendre place. Contrairement à ce dernier, le design social cherche à satisfaire les besoins de personnes à faibles revenus ou ayant des besoins spécifiques en raison de leur âge ou de leur santé. De nos jours, il existe un grand nombre d’approches. La carte Lycéo, permettant à des élèves du secondaire de bénéficier de tarifs réduits pour accéder à des lieux culturels, en est un exemple.
4 - Le design est avant tout une notion de projet
La notion de projet apparue à la Renaissance avec des architectes tel que Brunelleschi est de nos jours le base de toute discipline design. Cela caractérise les travaux en cours d’élaboration au sein de l’atelier de conception, dans les écoles de design. Et en milieu professionnel, le projet correspond aussi bien aux travaux en cours d’élaboration, qu’aux réalisations terminées.
Le projet, indissociable de la discipline du design, est donc une unité de travail de conception qu’elle soit aboutie ou non. Même si le projet n’est pas le monopole du design, tel que le projet d’orientation ou pédagogique en milieu scolaire, le projet d’aménagement dans les collectivités, le projet de loi, etc… Au XXème siècle Jean-Pierre Boutinet, psychosociologue, dénote que le projet est devenu la matrice organisationnelle de la plupart des activités humaines. « Par projet, Boutinet entend donc toute conduite d’anticipation socialement observable, qu’elle soit individuelle ou collective. »
Cependant, la notion de projet en design en fait sa spécificité. En effet, il est impossible de concevoir un produit, quelle que soit sa forme finale (matériel ou dématérialisée), sans une méthodologie liée au projet. La complexité des enjeux nécessite des connaissances spécifiques liées à une culture créative et artistique. Mais il faut également, une conscience des tenants et aboutissants de cette démarche face à son impact sur le monde.
a - Projet et méthodes
La première méthode de conception design est apparentée à la création artistique, fondée sur des méthodes intuitives. Elle est plutôt tournée vers la réalisation d’une production esthétique et intègre une démarche créative considérant les formes, la couleur, la performance, etc.… telles que les œuvres d’art.
La seconde méthode est basée sur un modèle scientifique. Elle s’articule autour de projets et s’appuie sur des méthodes rationnelles. On l’appelle aussi méthode « pragmaticienne » car elle est basée sur l’observation de la pratique et de la rationalité du projet. Elle est en plein essor depuis la création, en 1962, du Mouvement Des Design Methods à Londres, lors de la conférence du même nom. L’intégration des futurs usagers dans la réflexion du projet a ici toute sa place.
Chez les francophones, Alain Findeli conçoit « l’acte de design » tel qu’il est enseigné au sein de l’atelier de conception, dans les Écoles de design. À savoir, au travers du projet, où l’on doit être capable de questionner, définir, expliciter et justifier sa démarche.
b - Il existe différentes modélisations du projet
Kee Dorst a noté que toute l’activité du design se constitue de ces 4 éléments :
– un acteur (le designer et/ou équipe qui conçoit le projet).
– un objet ou contenu, c’est-à-dire un problème et une proposition de solution qui co-évolue avec le problème
– un contexte (environnement dans lequel l’activité de design a lieu).
– un processus dynamique et structuré (méthodologie)
Danielle Quarante distingue 2 périodes, les mêmes qu’à la Renaissance, où le projet se construit avec la conception (en atelier avec maquettes) et la réalisation (chantier). Puis elle décrit également 5 phases dans le projet design. Ainsi, durant la période de conception elle note :
– la phase 1, qui est étude de la faisabilité
– la phase 2, celle des recherches préliminaires
– Puis, pendant la période de réalisation vient la phase 3 qui représente l’étude détaillée et le prototypage
– La phase 4 qui est celle de l’exécution et de la fabrication
– Enfin la phase 5 pour l’évaluation.
Il existe une autre façon d’envisager le projet, sous 2 régimes distincts : Celui de la conception et celui de réception. Le premier englobe toutes les phases précédemment décrites et concerne davantage le designer. Le deuxième régime qui commence après la livraison concerne les utilisateurs et usagers.
En 2005 Le Design Council (Royaume Uni) propose un troisième degré de modélisation sous le nom de « double diamant ». Il a été élaboré après l’observation de similitude dans la pratique du design de 11 grandes entreprises. Il en découle 4 phases typiques au sein du régime de conception, chacune résumée par un mot commençant par la lettre D :
– Découvrir : cela comprend l’analyse, les recherches incluant des sondages, des études de marchés, des études utilisateurs, des études quantitatives et qualitatives…
– Définir : représente la convergence des idées, la sélection et la synthèse afin d’élaborer une proposition, voir la reformulation de la commande si besoin.
– Développer : où des maquettes sont élaborées.
– Délivrer : où le projet est testé et préparé pour la mise en service.
Des allers-retours entre les différentes phases sont parfois nécessaires.
c - La considération de l’humain devient prédominante pour le designer
En 1972 le design participatif ou codesign apparaît avec Kristen Nygaard lors de la conception d’un système informatique complexe. Lors de l’élaboration, les futurs utilisateurs sont intégrés dans les différentes phases de recherches et de développement. En effet, ils sont consultés tout au long de la création pour concevoir un produit adapté à leur besoin. Les performances des solutions émises s’en voient accrues (ex. projet UTOPIA dirigé par Pelle Ehen). Des outils de travail sont modélisés dans le but d’expérimenter les solutions trouvées pour « un avenir meilleur ».
Le design participatif finit par dépasser le cadre du travail pour s’appliquer à des éléments sociaux. Le codesign devient incontournable dans la mise en place du design de service et du design social.
« 3 éléments le compose :
1/ des processus collaboratifs linéaires et des méthodologies de construction du consensus ;
2/ des activités créatives dans lesquelles les designers experts utilisent leur culture et leur créativité pour jouer le rôle de médiateurs et de facilitateurs ;
3/ la création d’outils visuels, de prototypes et d’artefacts spécifiques que les designers experts ont la responsabilité de concevoir et de créer. » Pour Kees Dorst, c’est « une refonte complète du rôle du designer …» »
d - Une manière de pensée design se concrétise
L’institut de design à l’université de Stanford et l’agence de design IDOE popularise le design Thinking depuis le milieu des années 2000.
Le design thinking, sans majuscule, étudié depuis les années 1990 par les Design Methods est descriptif et vise à comprendre les processus cognitifs de l’acte de design. En revanche, le design Thinking, avec majuscule, est normatif et vise à améliorer les processus stratégiques de l’innovation.
Le design Thinking rassemble beaucoup de fervents défenseurs tels que Larry Leilfer, Tim Brown, David Kelley..
En 2009, Tim Bronn écrit un livre : Change By Design (traduction : l’esprit design) décrivant cela comme une méthodologie centrée sur l’humain et qui imprègne l’ensemble de ses activités.
Selon Roger Martin 3 logiques sont mises en avant :
– la logique humaine de la « désirabilité »,
– la logique technique de la « faisabilité »
– la logique économique de la « viabilité ».
Désormais, on demande aux designers de penser aux besoins et envies des utilisateurs dès les prémices de la création. L’humain est davantage pris en compte dans le cheminement et la réflexion créative. Ainsi, le design Thinking ne crée plus seulement des produits mais aussi des modes d’utilisations intégrant une réflexion sur les procédés d’utilisations (produits numériques entre autres). C’est le rétablissement d’un équilibre entre l’aspect mercatique et les autres besoins. Des phases de prototypages et d’essais prennent une place à part entière. Ainsi, 3 espaces de travail se distinguent dans le design Thinking :
– l’espace de « l’inspiration » (caractériser et problématiser la situation), cela rappelle la 1ere phase du modèle du double diamant ou l’on prend en considération, entre autres, la culture et le contexte d’utilisation des futurs utilisateurs dans une expérimentation concrète. C’est se mettre dans la peau du futur utilisateur.
– l’espace de « l’idéation » (engendrer, développer et tester des idées), est l’expérimentation concrète « ne pas penser pour faire mais faire pour penser». Cela passe par des prototypes.
– l’espace d’ implémentation » (trouver une voie vers le marché qui rencontre les utilisateurs) recherche et mise en œuvre de la commercialisation pouvant faire intervenir les futurs utilisateurs.
Le design Thinking reste une méthode et non du design. Il est donc important de bien l’utiliser car il concerne seulement les étapes. C’est pourquoi cette méthode suscite des controverses. Cependant, il fait partie de l’évolution du design en allant au-delà de l’artéfact (objet transformé par l’homme) vers l’expérience utilisateur.
10 principes du design par Dieter Rams « less, but better (Moins, mais mieux) (Le Design S. Vial)
Principe 1 : un bon design est innovant.
Principe 2 : un bon design rend un produit utile.
Principe 3 : un bon design est esthétique.
Principe 4 : un bon design rend un produit facile à comprendre.
Principe 5 : un bon design est discret.
Principe 6 : un bon design est honnête.
Principe 7 : un bon design dure longtemps.
Principe 8 : un bon design est rigoureux jusque dans les moindres détails.
Principe 9 : un bon design est respectueux de l’environnement.
Principe 10 : un bon design contient aussi peu de design que possible.
Il reste à espérer que les principes 7 et surtout 9, cités ci-dessus, soient désormais la priorité de toutes disciplines liées aux différents designs. Notre planète souffre d’un développement rapide et intensif en lien avec la présence humaine. Si jusque-là, préserver les ressources qu’offre notre terre n’était pas la priorité, c’est une tendance qu’il va devenir vital d’inverser. Pour cela les designers ont clairement un rôle prépondérant à jouer !!! C’est en partie à eux d’induire des changements salvateurs dans nos futures habitudes tant au niveau des méthodes de production, que dans les modes d’utilisation ou dans la mise en place d’un recyclage efficace. Limiter les déchets afin que notre empreinte destructrice ne le soit plus devra faire partie des missions du designer.
J’espère que cet article, résumé du livre « Le design » rédigé par Stéphane Vial, aux éditions universitaires « Que sais-je ? » vous éclairera sur ce qu’est le design et son évolution au fil du temps.
Si vous avez aimé cet article, vous êtes libre de le partager. N’hésitez pas à me dire en commentaire comment vous percevez le design et imaginez son évolution future…
A bientôt
Mucyol